Archéologie

Recherches préhistoriques en Alborz Central et au Nord du Plateau Central Iranien

Le Programme Paléoanthropologique Franco-Iranien (FIPP)

Le Programme Paléoanthropologique Franco-Iranien (FIPP) est un programme de recherche et de formation franco-iranien en Anthropologie biologique, initié en 2001, entre l’Université de Téhéran (Pr. Asghar Asgari Khaneghah, Institut des Recherches et des Études Sociales, Faculté des Sciences Sociales), l’UMR7194 CNRS/MNHN/UPVD Histoire naturelle de l’Homme préhistorique (Gilles Berillon, Musée de l’Homme, Paris), l’Université Tarbiat Modares (Hamed Vahdati Nasab, Département d’Archéologie), avec la collaboration de l’ICAR. Il se compose depuis son origine de deux volets très étroitement articulés :

un programme de formation académique et d’échange en Anthropologie biologique,
un programme de recherches archéo-préhistorique dans une zone couvrant l’Alborz Central et le nord du Plateau Central Iranien.

Les travaux du FIPP se sont portés successivement sur deux sites paléolithiques de plein air, Garm Roud (Mazandaran) et Mirak (Semnan) et depuis 2018, sur le site paléolithique en grotte de Qaleh Kord (Qazvin).

Fig. 1 : Localisation des principaux sites paléolithiques en Iran et des sites étudiés par le FIPP (en rouge).

La découverte, la fouille et l’étude pluridisciplinaire de Garm Roud, Paléolithique supérieur (Baliran, Mazandaran)

Sur le terrain, les travaux du FIPP se sont soldés en 2005 par la découverte de deux sites paléolithiques : Moghanak, site de surface rapporté au Paléolithique moyen et Garm Roud, site du Paléolithique supérieur en contexte stratigraphique. Les résultats des trois campagnes de fouille et de l’étude pluridisciplinaire de Garm Roud (2006-2012), indiquent qu’il s’agit d’une courte halte de chasse, installée en bord de rivière il y a environ 33 000 ans alors que le climat était tempéré, par un petit groupe d’hommes de culture Paléolithique supérieur. Ces travaux ont fait l’objet de la publication en 2016 par l’IFRI et @rchéo-éditions de l’ouvrage de synthèse trilingue (français, anglais, persan) : Garm Roud. Une halte de chasse en Iran.

Fig. 2 : Garm Roud – La vallée (a), la séquence stratigraphique de Baliran (b), la fouille du site (c), artefacts lithiques et fragments osseux in situ (d), fragments osseux et dents de Cerf élaphe (e) (Photos, FIPP).

Mirak, un site de plein air du Paléolithique supérieur et du Paléolithique moyen (Delazian, Semnan)

Pour son second volet de travaux, fort de ses découvertes passées, le FIPP a élargi sa zone d’étude au nord du Plateau Central Iranien, dans les piedmonts de l’Alborz. Dans cette région, une mission iranienne (Hamed Vahdati Nasab, Université Tarbiat Modares) menait ses travaux, soldés également par la découverte et l’étude de sites inédits, et la reprise de sites anciennement découverts. En 2015, dans un intérêt scientifique partagé, le FIPP et cette mission ont décidé de joindre leurs efforts dans la province de Semnan dans le cadre d’un FIPP au contours élargis. Le FIPP a ainsi initié la fouille et l’étude pluridisciplinaire de la localité de Mirak, localité de plein air découverte en 1989 et attribuée initialement au Paléolithique moyen à partir des vestiges collectés en surface.

Mirak se situe dans la portion nord du Désert Central Iranien, au sud de l’Alborz, à environ 5 km au sud de la ville de Semnan. Totalement désertique, cette localité s’étend sur une surface d’environ 1.6 km². Elle a précédemment livré un assemblage lithique de plusieurs milliers de pièces réparties aux alentours de huit petites butes d’une dizaine de mètres de haut, mais le contexte de dépôt y était inconnu. Mirak était alors considérée comme une localité importante pour la connaissance du Paléolithique moyen, mais sans contexte stratigraphique et chronologique, ni les éléments qu’apportent une fouille méthodique, sa portée restait limitée. Quelques éléments permettaient de penser qu’un ou plusieurs dépôts archéologiques étaient encore préservés à Mirak : un sondage clandestin récent avait en effet fait remonter des sédiments d’une des butes, Mirak 8, des vestiges osseux et dentaires de grands mammifères disparus associés à des artefacts lithiques rapportés au Paléolithique moyen.

De la fouille au matériel archéologique – Une première campagne de fouilles et d’analyse menée en 2015 par le FIPP, incluant 12 étudiants iraniens, a permis de déterminer le nombre et la nature des dépôts archéologiques et de proposer les premiers éléments de compréhension du contexte, géologique et environnemental, de formation de la séquence et de dépôt des vestiges d’activité humaine. Deux autres campagnes ont permis de vérifier qu’il s’agissait bien d’une localité présentant des assemblages paléolithiques encore en contexte stratigraphique.

La fouille extensive du site a été initiée sur une surface de 15 m² dans un secteur Nord puis étendue jusqu’à 36 m² sur deux autres secteurs à l’Est et à l’Ouest (Figure 3) à l’issue d’une campagne de sondages qui ont permis d’y identifier en profondeur la présence des sédiments contenant les vestiges archéologiques. La fouille a été réalisée par carré de 1 m² chacun, en utilisant les techniques de fouille contextuelle et niveau par niveau. Un tamisage à sec et à l’eau des sédiments a été adopté dans la mesure du possible afin de collecter le matériel de petite taille. Chaque objet archéologique a été collecté et référencé dans le référentiel 3D de la bute, consolidé si nécessaire et enregistré dans la base de données (numéro de carré, nature, dimensions, coordonnées cartésiennes, orientation et pente). Au total, les fouilles ont livré plus de 6200 objets, principalement des artéfacts lithiques. Les vestiges de grands mammifères sont rares et consistent essentiellement en fragments osseux très altérés, indéterminables. Ces vestiges indiquent la présence d’au moins trois phases successives d’occupation humaine.

Contexte de dépôt – Un relevé complet de la stratigraphie à l’endroit de la fouille et dans le sondage clandestin apporte les éléments de compréhension de l’histoire de la séquence sédimentaire et du dépôt des traces d’activités humaines paléolithiques. Ces relevés ont pu être complétés par une série d’échantillonnages pour analyses chronologiques (OSL), sédimentologiques et micromorphologiques. Les travaux montrent la présence de deux séquences sédimentaires : une séquence inférieure (Séquence 1), alluviale et datée du Pleistocène supérieur qui contient les trois ensembles archéologiques, surplombée d’une séquence supérieure (Séquence 2) éolienne, vierge de vestiges archéologiques, et qui compose l’essentiel de la butte telle qu’elle apparaît aujourd’hui.

L’étude des sédiments indique que contrairement à la situation désertique aride actuelle, le climat de la partie nord du Désert Central Iranien était très différent de l’actuel à la fin du Pléistocène. Durant la première moitié de la dernière période glaciaire (MIS 4/3), le climat de la région était froid et humide. Cette période froide et humide a été caractérisée par une lente aggradation alluviale interrompue par des crues rapides. Deux des ensembles archéologiques de Mirak 8 sont datés de l’intervalle chronologique compris entre 50 ka et 28 ka, ce qui correspond à ces conditions climatiques humides. De plus, la nature des sédiments des couches archéologiques implique que pendant chacun de ces événements (qui auraient pu durer des centaines d’années), le site était émergé, éventuellement entourée de ruisseaux et de marais.

En ce qui concerne la séquence Holocène (Séquence 2 dans Mirak 8), l’étude actuelle de Mirak 8 montre que les monticules de Mirak ne peuvent pas être considérés comme les vestiges d’un gisement plus important qui a été érodé mais correspondent à des dunes. Les deux âges obtenus pour le sommet du monticule et la base du dépôt holocène indiquent que la formation du monticule de Mirak 8 a pris environ 800-1600 ans. C’est cette bute ainsi formée qui a préservé la séquence pléistocène sous-jacente.

Au moins trois phases d’occupation humaine – Les premiers résultats indiquent la présence d’au moins trois phases successives d’occupation humaine pendant le MIS3 : un niveau supérieur d’affinités Paléolithique supérieur, avec un âge maximum de 28 ka, un niveau inférieur d’affinités Paléolithique moyen, autour de 47 ka, et un niveau intermédiaire avec des caractéristiques mixtes vu comme un Paléolithique intermédiaire, daté entre 28 et 38 ka.

Mirak est le seul site de la région avec des assemblages archéologiques en contexte rapportés au Paléolithique moyen en dehors du Zagros. Mais contrairement à ce qui avait déjà été proposé à partir de l’étude de la collecte de surface de 2009, les données issues des trois campagnes de fouilles ont clairement permis d’identifier également la présence d’industries du Paléolithique supérieur. Ce constat est cohérent avec la présence à une très grande proximité de Delazian, grand site de plein air attribué au Paléolithique supérieur (2 km au nord-est de Mirak, voir Vahdati Nasab et Clark 2014). Les caractéristiques du niveau intermédiaire (daté entre 28 et 38 ka) indiquent qu’à l’époque où les cultures du Paléolithique supérieur se sont différenciées dans le Zagros, des cultures avec des affinités Paléolithique moyen évidentes ont persisté juste à l’est du Zagros sur le pourtour nord du Plateau Central Iranien. Ces résultats montrent l’intérêt de cette région, l’Alborz Central et le nord du Plateau Central Iranien pour la compréhension des peuplements paléolithiques, région qui jusqu’ici avait principalement livré des découvertes de surface.

Fig. 3 : Mirak 8, 2016 – Vue de la butte Mirak 8 (en haut), la fouille du secteur Est (en bas à gauche), Pointe moustérienne et percuteur in situ (en bas à droite) et actuelle synthèse stratigraphique (en haut à droite).

Fig. 4 : Mirak 8, 2017 – Topographie de Mirak 8 et secteurs fouillés, à gauche : en 2015 (en rouge) et en 2016-2017 (en jaune), et des forages réalisés en 2016 (en vert, C01 à C08) ; à droite : le secteur nord (en haut), le secteur Est (au milieu) et le secteur Sud (en bas).

Qaleh Kord (Qalé, Qazvin), un site Paléolithique en grotte

Le contexte – Qaleh Kord, dont la fouille a été initiée par le FIPP en 2018, est le plus occidental des sites fouillés et étudiés par le FIPP ; par sa localisation en contexte de Plateau Central Iranien mais à mi-chemin des sites du Zagros à l’ouest et de Mirak et Garm Roud à l’est, il revêt un intérêt majeur pour la connaissance de la diversité humaine, biologique et culturelle, au Pléistocène supérieur.

Qaleh Kord est une cavité située près du village de Qaleh à l’extrême ouest de la Province de Qazvin, à la limite nord-ouest du Plateau Central Iranien. Elle s’ouvre à 2137 m d’altitude sur la plaine de Qaleh, dans un massif calcaire de la Formation Oligo-Miocène de Qom, et communique avec un vaste réseau karstique encore actif. Son intérêt paléoenvironnemental a été révélé récemment (Mehterian et al., 2017). De même, une étude d’artefacts lithiques d’affinités moustériennes collectés en surface révélait un potentiel archéo-préhistorique (Soleymani et Alibaigi, 2018).

Le remplissage sédimentaire de la cavité a été largement endommagé par plusieurs sondages clandestins. À la surface des coupes dégagées par ces sondages, du matériel archéologique a pu être observé in situ à près de 2 m au-dessous du sommet du remplissage. Compte tenu de ces éléments et de l’urgence qu’il y a à protéger ce site, le FIPP a organisé une première campagne de fouille et d’études pluridisciplinaires en automne 2018.

Fig. 4 : Qaleh Kord – Vue panoramique de la grotte et de ses environs (Photo, FIPP 2018).

Premiers résultats – La campagne 2018 menée de fin août à fin septembre visait à identifier les assemblages archéologiques in situ et à en proposer un premier cadre stratigraphique. Après la réalisation de la carte et de la topographie du site, la fouille a été implantée sur 7 m², en s’appuyant sur deux des quatre tranchées illégales, ce qui a permis de fouiller une surface cumulée de 4 m² jusqu’à une profondeur de 1.5 à 2.5 m. La fouille et l’étude stratigraphique ont mis en évidence deux séquences sédimentaires, la supérieure composée d’une succession de cycles de dépôts lœssiques et organiques vraisemblablement holocènes renfermant quelques fragments de céramiques et de restes de grands mammifères, l’autre composée d’une succession de dépôts cryoclastiques et éoliens pléistocènes. La fouille de la séquence pléistocène a livré près de 3500 objets référencés in situ, dont une forte proportion de restes de grands mammifères présentant de nombreuses traces anthropiques (marques de découpe, fragmentation, brulages), ainsi que de très nombreux artefacts lithiques paléolithiques, distribués sur plusieurs dépôts archéologiques. Les études sont en cours et un ensemble de prélèvements a été opéré pour l’étude du cadre paléoenvironnemental, géologique et chronologique de ces preuves de présence humaine. La première campagne de terrain montre que les vestiges in situ sont nombreux, avec une densité moyenne de 800 objets / m² et très bien conservés. Répartis sur plusieurs ensembles archéologiques successifs, ils témoignent de nombreuses activités anthropiques qui peuvent d’ores et déjà être rapportés au Pléistocène, et confirment le positionnement clé de Qaleh Kord, entre les sites paléolithiques du Zagros à l’ouest et Mirak et Garm Roud à l’est.

Fig. 5 : Qaleh Kord – Qaleh Kord à plusieurs étapes des travaux, de l’ouverture de la fouille (a,b) à sa fermeture (k,n). c, relevé topographique ; d, les deux secteurs fouillés ; e, tamisage à sec ; f, secteur T3 en cours de fouille ; g, secteur T1 en cours de fouille ; h, prélèvement d’un bloc ; i, tamisage à l’eau ; j, marquage et classement ; k, tri ; l, nettoyage ; m, site clos et barrière de protection ; n, portail et fermeture de la grotte (Photos, FIPP).

Publications récentes du FIPP

VAHDATI NASAB H. & BERILLON G. (1^ers auteurs), JAMET G., HASHEMI M., JAYEZ M., KHAKSAR S., ANVARI Z., GUERIN G., HEYDARI M., ZEITOUN V., DARVISHI KHATOONI J., ASGARI KHANEGHAH A. (sous presse). The Paleolithic Open-Air Site of Mirak, Northern Edge of the Iranian Central Desert (Semnan, IRAN). First results of systematic excavations. A window on Middle to Upper Paleolithic transition, CR PalEvol. doi.org/10.1016/j.crpv.2019.02.005
ABOLFATHI M., BAILLS H., BONILAURI S., FORESTIER H., VAHDATI NASAB H., ASGARI KHANEGHAH A., BERILLON G., 2018. Histoire récente des recherches sur le Paléolithique supérieur dans le Zagros et dans l’Alborz (Iran). L’Anthropologie (Paris), 122(5): 749-761. doi.org/10.1016/j.anthro.2018.10.004
HASHEMI, S. MILAD, AND H. VAHDATI NASAB, G. BERILLON, G. JAMET, Q. AZIZI, M. JAYEZ, G. GUERIN, M. HEYDARI, M. AKHAVAN KHARAZIAN, A. NATEQI, A. ABDOLLAHI. 2018. The Late Pleistocene in the Northern fringes of Iranian Central Desert and the Formation of Archaeological Sites; Case Study: Mirak, Semnan. Quaternary Journal of Iran, 3(12): 405-430
AKHAVAN KHARAZIAN M., JAMET G., PUAUD S., HASHEMI M., VAHDATI NASAB H., BERILLON G. (sous presse), The Paleolithic open-air site of Mirak (Semnan, IRAN): A contribution to the geoarchaeological study by using sedimentological and physical-chemical analysis (en Persan). Quaternary Journal of Iran.
BERILLON G., ASGARI KHANEGHA A., ANTOINE P., AUGUSTE P., BAHAIN J.-J., CHAUSSE C., CHEVRIER B., GHALEB B., JOLLY-SAAD M.-C., KLAUS S., LEBRETON V., LIMONDIN-LOZOUET N., MERCIER N., SENEGAS F., VAHDATI NASAB H., VERCOUTERE C., ZEITOUN V. (2016), Garm Roud. Une halte de chasse en Iran, Paléolithique supérieur / Garm Roud. A Hunting place in Iran, Upper Palaeolithic. Editions IFRI & @rchéo-éditions, Français-Anglais-Persan, 280 pp.

Dernière mise à jour : juin 2019

Recherches archéologiques à Pasargades

Recherches archéologiques à Pasargades (Iran) : chronique d’un retour sur le terrain

Après plusieurs années d’interruption, l’année 2015 a été marquée par une relance des recherches archéologiques irano-françaises sur le site de Pasargades et sa région. Ainsi, en novembre 2015, le laboratoire Archéorient a réactivé ses travaux portant sur l’étude des fondations royales achéménides au sud de l’Iran en partenariat avec l’université Shahid Beheshti de Téhéran. A la demande de nos partenaires de l’Iranian Center for Archaeological Research et de la Parsa-Pasargadae Research Foundation, nous avons décidé de construire un nouveau programme conjoint d’étude du site de Pasargades (figure 1). Centré sur des travaux de prospections pluridisciplinaires, il est destiné à poursuivre la cartographie archéologique du site initiée dès 1999. Portant sur l’étude de l’organisation du site et de son territoire à l’époque achéménide (6^e-4^e s. av. J.-C.), ces recherches s’intègrent également dans les projets iraniens de construction d’une carte archéologique d’aide à la gestion des risques sur le patrimoine de Pasargades et de sa région. Avec le soutien du Ministère français des Affaires Étrangères et de l’Europe et de l’Agence National pour la Recherche depuis 2017 (projet franco-allemand ANR-DFG Paradise ; Gondet 2017), nous avons donc réactivé la mission « Shiraz » qui était dirigée de 1999 à 2009 par Rémy Boucharlat, directeur de recherche CNRS à Archéorient. Depuis novembre 2015, quatre campagnes de terrain ont eu lieu sous la direction conjointe des auteurs de cette note et grâce aux efforts des 35, depuis 2015, membres de la mission. Nous exposons ici les grandes lignes de notre programme ainsi qu’un rapide aperçu des premiers résultats obtenus.

Figure 1 : Localisation de Pasargades et de Persépolis.

Programmes irano-français à Pasargades : un bref historique

Le début des recherches lyonnaises sur l’Iran achéménide remonte à la fin des années 1990. Elles sont nées de la volonté de Rémy Boucharlat de relancer des collaborations archéologiques avec l’Iran alors que celles-ci avaient connu un coup d’arrêt suite à la révolution de 1979. Le pays cherchait alors à relancer les études sur son riche patrimoine. Pour le site de Pasargades, cette dynamique s’est traduite par la constitution d’un dossier d’inscription sur la liste du Patrimoine mondial de l’Unesco. C’est dans ce cadre qu’en 1999 la mission irano-française « Shiraz » a été l’une des premières à relancer un programme de terrain conjoint. Etant donnée la surface du site de Pasargades, au moins 300 ha en majeure partie non fouillés, les travaux se sont concentrés sur une cartographie à large échelle de ses vestiges. Avec la collaboration de Christophe Benech, chercheur CNRS à Archéorient, ils se sont appuyés sur la mise en œuvre de techniques de prospection géophysique. C’est en partie grâce à ces travaux que le site a été classé en 2004. Les recherches s’y sont poursuivies, avec des interruptions, jusqu’en 2009. Parallèlement, la mission a mené une étude du territoire de Pasargades en prenant part à plusieurs fouilles de sauvetage et en initiant des études sur des vestiges d’aménagements hydrauliques. Après ces années d’activité, les résultats et les pistes de recherches ouvertes ont été nombreux et constituent les bases du nouveau programme de recherches à Pasargades.

Une morphologie urbaine originale, un territoire largement réaménagé

Pasargades est un site-clé pour comprendre l’occupation de la Perse durant la période achéménide : première fondation royale de cette période, il constitue le prototype d’une conception perse de la ville. Résidence royale fondée aux alentours de 550 av. J.-C. par Cyrus, le premier Grand Roi, sa construction répond aussi à la nécessité de doter la province de Perse d’une capitale. Pasargades a dû jouer ce rôle durant une trentaine d’années avant que Darius ne décide vers 520 de déplacer la capitale à Persépolis, située 50 km plus au sud. Pasargades restera par la suite un lieu symbolique important ainsi qu’un centre administratif local.

Avant même nos prospections à Pasargades, des fouilles anciennes (Stronach 1978) avaient mis au jour une partie du plan original du site. Les différents édifices royaux ne sont pas regroupés en un complexe palatial mais répartis autour d’un jardin royal de plusieurs hectares parcouru de canaux en pierre, la tombe monumentale de Cyrus se situant pour sa part à près de 1 km plus au sud. À l’opposé, au nord, cet ensemble est dominé par une vaste plateforme en pierre, la « Citadelle », construite au sommet d’une colline. Les résultats de nos prospections (Boucharlat, Benech 2002 ; Benech, Boucharlat, Gondet 2012) ont permis d’élargir cette reconstitution de Pasargades (figure 2 ; Boucharlat 2012). Elles ont démontré que le jardin ne constituait qu’une partie d’un parc plus vaste qui intégrait vers le nord-est un complexe architectural en arrière de la tour du « Zendan » et vers le sud-est un large bassin ainsi qu’un secteur de bâtiments très détruit par les activités agricoles récentes. Vers le nord, au-delà de la « Citadelle », un rempart courant sur les sommets de plusieurs collines délimite un secteur fortifié d’une vingtaine d’hectares où un bâti assez dense a été détecté.

Figure 2 : Proposition de restitution du plan de Pasargades à l’issue des prospections 1999-2009 (repris et adapté de Benech, Boucharlat, Gondet 2012 : 29-Fig. 15).

Objectifs du nouveau programme

L’objectif de notre programme consiste à poursuivre l’étude de Pasargades et de son territoire. S’inscrivant dans la continuité des travaux entrepris jusqu’en 2009 il aborde, par la mise en œuvre de nouvelles méthodes, certaines des nombreuses questions restées en suspens. Des rapports concernant les opérations effectuées en 2015 et 2016 et leurs objectifs sont parus dans le journal International Journal of Iranian Heritage publié par l’Université Shahid Beheshti de Téhéran (Gondet et al. 2016, 2017 (sous presse)).

Sur le site de Pasargades, l’objectif principal est de préciser notre reconstruction de la ville. Cela passe par une poursuite de la cartographie du site à l’aide des méthodes géophysiques, des prise de vue par drones et par un relevé topographique de l’ensemble des vestiges visibles en surface. Alors que des questions se posent sur la dynamique de développement de la ville, nous étudions la datation et la nature des occupations détectées en géophysique par une étude des céramiques de surface. Enfin nous ne savons encore rien des différentes essences végétales qui étaient cultivées dans le parc de Pasargades, les textes antiques nous informant toutefois que les rois perses souhaitaient démontrer la diversité de leur empire par la plantation d’espèces exotiques. Nous abordons cette thématique par des analyses palynologiques.

Concernant la plaine de Pasargades, le territoire de la ville, les travaux sont conduits à deux échelles. Dans un rayon de 5 km autour du site, nous procédons à un enregistrement et à une cartographie de l’ensemble des données archéologiques repérables en surface. Pour la période achéménide, l’objectif est de définir la limite entre espace urbain et rural et d’obtenir une image précise de l’organisation du territoire aux alentours immédiats de la ville. La seconde échelle d’étude intègre l’ensemble du bassin versant du Pulvar, la rivière qui arrose la région. Nous comprenons encore mal la gestion achéménide des ressources en eau autour de Pasargades: la fonction des barrages ou l’alimentation en eau des canaux restent des points à éclaircir. Nous abordons ces questions par une cartographie précise de ces infrastructures couplée à des analyses géomorphologiques qui nous renseigneront les évolutions passées du régime hydrologique du bassin versant du Pulvar.

Cartographie de la ville

Depuis novembre 2015 et au cours des missions suivantes, nous avons pu compléter la cartographie de la partie protégée du site.

Figure 3 : Carte de synthèse des données archéologiques sur l’occupation ancienne à Pasargades obtenues au cours des campagnes 1999-2008 et 2015-2016 (repris de Gondet et al. 2017 sous presse : Fig. 15).

Dans la continuité des travaux mis en œuvre entre 1999 et 2008, nous avons poursuivi les prospections géophysiques avec la méthode magnétique. L’ensemble de la partie nord-est du site a été couverte permettant d’enrichir notre connaissance de l’organisation de Pasargades et de ses dynamiques d’occupation. Des vestiges du parc, pour l’essentiel les restes d’un réseau de fossés, ont été repérés jusqu’au pied de la colline de la « Citadelle ».

Figure 4 : Cartes magnétiques obtenues à Pasargades 2015 au nord-est du jardin royal. Les probables fossés parcourant le parc achéménide ont été surlignés en rouge ; le bourg sassanide/islamique mis en évidence sur les pentes de la colline de la « Citadelle » est entouré en rouge (échelle des cartes géophysiques : -/+ 2 nT du blanc au noir ; repris de Gondet et al. 2017 sous presse : Fig. 2).

Sur les pentes sud de cette colline nous avons mis en évidence, également grâce des photographies aériennes par drones, l’existence d’un bourg fortifié datant de la période sassanide ou des débuts de l’ère islamique. Au nord de la colline, la carte du secteur fortifié a été complétée. Le plan d’organisation d’ensemble des constructions à l’intérieur ainsi que l’étude des fragments de céramiques en surface tendent à démontrer une occupation remontant au Ier millénaire av. J.-C. mais postérieure à la période achéménide. Concernant les secteurs habités par la population présente en permanence dans la ville achéménide, de nouvelles données ont été obtenues grâce à une interprétation croisée des résultats des travaux topographiques, des analyses de la céramique de surface et des prospections archéologiques systématiques des traces d’occupation anciennes visibles en surface. Par exemple, la cartographie des densités de tessons de type achéménide/post-achéménide a confirmé l’existence d’un secteur d’occupation au sud-est du grand bassin.

Figure 5 : Carte de densité de la céramique de surface le long d’un profil de carrés de 20 m de côté (de 0,1 tessons/m² en vert à 2,5 tessons/m² en rouge) localisé au sud-est du grand bassin. Les zones de plus fortes densités de céramiques achéménides/post-achéménides au nord-est se superposent aux zones construites repérées sur les cartes magnétiques (oval rouge ; repris de Gondet et al. 2016 : 77-Fig. 6).

La ville « populaire » devait donc plutôt s’étendre en direction de l’est et au-delà du large bassin détecté au cours de nos anciennes campagnes. Ce bassin devait donc servir aussi de limite entre la zone royale, les palais et le jardin, et le reste de la ville. Toutefois les vestiges très fragiles de ces secteurs d’habitat ont été très largement arasés par les activités agricoles modernes ; depuis 2016 nous testons de nouvelles méthodes géophysiques électromagnétiques pour mieux les caractériser malgré la disparition des vestiges construits.

Occupation et aménagement de la plaine de Pasargades

Dans la plaine de Pasargades, nous procédons depuis 2015 à un relevé systématique de l’ensemble des traces archéologiques (restes architecturaux, concentrations de céramiques, aménagements divers) visibles en surface. Dans un rayon de 5 km autour du site, nous avons relevé une quarantaine de sites. Beaucoup sont plus récents que la période achéménide et se rattachent aux diverses phases d’occupation islamiques de la région. Quelques sites achéménides ont été relevés à l’est de la zone protégée de Pasargades (donc marqueurs d’une extension de la ville vers l’est ?) ; 3 km au nord, un site de 2 ha probablement à vocation agricole a été enregistré. Il est probable que le réseau d’installations agricoles était plus dense à l’époque achéménide et ces résultats questionnent avant tout notre capacité à en détecter les traces dans un paysage actuel fortement marqué par l’empreinte humaine. Parallèlement, nous menons une étude systématique des nombreux vestiges funéraires (près de 500 relevés à ce jour) répartis sur les collines autour de Pasargades. Pour l’essentiel il s’agit de tombes aménagées sous des cairns de pierres remontant très certainement à des époques postérieures à l’Achéménide.

Figure 6 : Exemple d’une tombe sous cairn de pierres retrouvée sur les collines au nord-est de Pasargades (Crédits : M. Farjamirad et E. Roustaei Farsi, Mission irano-française « Shiraz »).

Au-delà du cercle des quelques kilomètres autour de Pasargades, à l’échelle du bassin versant de la rivière Pulvar, l’étude des infrastructures hydrauliques a été reprises de manière systématique depuis 2017. Cartographie systématique des ouvrages hydrauliques, levés topographiques et prélèvements d’échantillons permettront de mieux comprendre leur fonction et de les dater plus précisément.

Figure 7 : Relevé au GPS différentiel d’un barrage antique dans le secteur de Alafi situé à 15 km au nord-est de Pasargades (Crédits : M.-L. Chambrade et M. Mehrabani, Mission irano-française « Shiraz »).

Études paléoenvironnementales

Après une mission exploratoire en 2016, nous avons en 2017 lancé un important programme d’études paléoenvironnementales dans la région de Pasargades intégrant analyses géomorphologiques et palynologiques. En 2016, nous avons d’abord procédé à des observations dans la plaine pour en décrire les grands ensembles géomorphologiques en se concentrant sur l’étude des dynamiques hydrographiques. Ensuite, au cours de la campagne 2017, nous avons systématiquement échantillonné les terrasses alluviales de la rivière Pulvar pour en étudier ses changements de régime au cours des derniers millénaires.

Figure 8 : Prélèvements d’échantillons dans une terrasse alluviale du Pulvar dans le secteur de la vallée du Tang-e Bolaghi (Crédits : J.-B. Rigot, Mission irano-française « Shiraz »).

Parallèlement, nous procédons à des prélèvements pour analyses palynologiques de manière à coupler ces données hydrologiques à celles sur les évolutions de la végétation ancienne. Ensemble elles pourront nous donner une idée plus précise des conditions environnementales passées de la région. Pour l’étude des pollens anciens, des échantillons de sol ont été prélevés en plusieurs endroits de la plaine et en particulier sur le site de Pasargades dans le vaste bassin au sud-est du jardin royal.

Figure 9 : Prélèvement d’échantillons dans les jardins de Pasargades pour analyses palynologiques (Crédits : M. Djamali, Mission irano-française « Shiraz »).

Et ensuite ?

Dans le cadre de l’accord de recherche quinquennal passé avec l’ICAR, l’ensemble des opérations exposées ci-dessus se poursuivront pour au moins deux saisons au cours des années 2018 et 2019. L’objectif est de compléter l’ensemble de la cartographie de la zone protégée du site par les moyens de la géophysique, de la topographie ou à travers l’étude du matériel archéologique de surface. Parallèlement nous espérons pouvoir enrichir nos analyses par l’ouverture de sondages ciblés sur certains des vestiges relevés au cours de nos travaux de prospection. Ces opérations sont en cours de construction en collaboration avec l’équipe iranienne de fouille à Pasargades. Pour la plaine, le relevé des sites continuera en se concentrant sur la partie sud de la plaine et, pour les ouvrages hydrauliques, dans la vallée du Tang-e Bolaghi situé à 3,5 km au sud-ouest de Pasargades.

Bibliographie

Benech C., Boucharlat R., Gondet S. 2012. Organisation et aménagement de l’espace à Pasargades : Reconnaissances archéologiques de surface, 2003-2008, Arta 2012.003. En ligne : http://www.achemenet.com/document/2012.003-Benech_Boucharlat_Gondet.pdf

Boucharlat R. 2012. Reconstitution 3D – Dialogue entre l’archéologue et l’infographiste – une expérience, ArchéOrient-Le Blog (Hypotheses.org), 30 novembre 2012. En ligne : http://archeorient.hypotheses.org/250

Boucharlat R., Benech C. 2002. Organisation et aménagement de l’espace à Pasargades. Reconnaissance archéologique de surface, 1999-2001, Arta 2002.001. En ligne : http://www.achemenet.com/ressources/enligne/arta/pdf/2002.001-loc.pdf

Gondet S. 2017. Projet PARADISE sur les résidences achéménides, entre Caucase et sud de l’Iran, ArchéOrient-Le Blog (Hypotheses.org) 28 avril 2017. En ligne : https://archeorient.hypotheses.org/7409

Gondet S., Mohammadkhani K., Farjamirad M., Ibnoeirida N., Zare Kordshouli F., Karami H.R., Laisney, D. 2016. Field report on the 2015 current archaeological works of the joint Iran-French project on Pasargadae and its territory, International Journal of Iranian Heritage 1: 60-87.

Gondet S., Mohammadkhani K., Farjamirad M., Gopnik H., Ibnoeirida N., Zare Kordshouli F., Karami H.R., Laisney D., Notter-Truxa F., Rigot J.-B., Djamali M. 2017 (sous presse). Field report on the 2016 archaeological work of the joint Iran-French project on Pasargadae and its territory, International Journal of Iranian Heritage, 2.

Stronach D. 1978. Pasargadae: a report on the excavations conducted by the British institute of Persian studies from 1961 to 1963, Oxford.

Sébastien Gondet est chargé de recherche au CNRS. Spécialiste en méthodes de prospection pour l’archéologie, en particulier des méthodes géophysiques, et de l’archéologie de l’Empire achéménide. Membre du laboratoire UMR 5133 Archéorient (CNRS/Lyon 2), Maison de l’Orient et de la Méditerranée.

Kourosh Mohammadkhani est maître de conférences à l’Université Shahid Beheshti de Téhéran (Iran). Spécialiste des méthodes de prospections géophysiques appliquées à l’archéologie et de la période achéménide en Iran. Membre associé au laboratoire Archéorient. Membre du comité scientifique du Parsa Pasargadae Research Foundation.

La liste des membres participant à cette mission est disponible ici.

Note : ce texte est issu de la note de blog publiée à l’adresse https://archeorient.hypotheses.org/6643.

Dernière mise à jour : avril 2018

Recherches archéologiques irano-françaises dans le Sud-Est de l’Iran (Bam-Narmashir, Kermân)

Mission Archéologique Irano-Française à Bam : Cadre et objectifs du programme

La mission archéologique irano-française à Bam est un programme de coopération scientifique et de formation entre l’Iran et la France. Il a débuté en 2016 sous la direction de Omran Garazhian (Université de Nichapour) et Benjamin Mutin (CNRS-UMR7041, ArScAn, Archéologies et Sciences de l’Antiquité, Archéologie de l’Asie Centrale ; Université de Harvard, Département d’Anthropologie) et avec le soutien de l’Iranian Center for Archaeological Research (ICAR) et du Research Institut for Cultural Heritage and Tourism (RICHT) côté iranien, ainsi que du Service de Coopération et d’Action Culturelle de l’Ambassade de France à Téhéran, de l’Institut Français de Recherche en Iran et de la Commission Consultative des Recherches Archéologiques à l’Étranger du Ministère de l’Europe et des Affaires Étrangères côté français.

Figure 1 : Localisation du secteur d’étude de la mission : Bam et sa périphérie (©Google Earth).

Le cadre de recherche de ce programme est la région de Bam-Narmashir (province du Kermân), localisée dans la périphérie méridionale du Désert du Lut dans le Sud-Est de l’Iran. Son objectif principal est l’analyse du peuplement ancien de cette région. Il vise à définir la distribution géographique des sites archéologiques et les cultures et les périodes chronologiques auxquelles ces sites se rattachent, ainsi que l’évolution de ce peuplement au cours du temps en relation avec celle du climat. Au-delà de cette étude régionale, ce programme vise à contribuer à la connaissance des communautés anciennes du Sud-Est de l’Iran et, plus largement, à la compréhension des processus de peuplement et des grands changements sociétaux survenus par le passé dans les régions méridionales de l’Asie moyenne. La mission s’intéresse ainsi en particulier à la période allant de l’émergence des premiers villages agricoles dans le Sud de l’Iran et à travers les confins indo-iraniens au Néolithique (à partir des huitième et septième millénaires avant notre ère) à l’apparition des premières civilisations urbaines (lors des troisième et second millénaires). Les travaux de la mission ont néanmoins également permis la découverte de vestiges datés des périodes antérieures et postérieures. En lien avec cette recherche existe aussi une volonté de mettre en valeur le patrimoine culturel de Bam et sa région et de favoriser la formation en archéologie. L’équipe inclut ainsi des étudiants en licence, master et thèse, lesquels sont formés par la mission aux différentes méthodes de l’archéologie (prospection, fouille, analyse de la culture matérielle).

Ce programme s’inscrit dans la continuité des travaux conduits par les institutions culturelles iraniennes, notamment par le regretté Chahryar Adle (CNRS) et ses collègues du service archéologique de Bam, à la suite du tremblement de terre survenu dans cette ville le 26 décembre 2003. Ces travaux visaient à la reconstruction et la réhabilitation de la ville ancienne de Bam et de ses entours. Ils comprenaient un programme d’évaluation des vestiges archéologiques et historiques de Bam et sa périphérie proche, lesquels furent inscrits à la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO dès 2004. Bam est en effet célèbre pour sa citadelle médiévale, l’Arg-e Bam, la construction en adobe la plus vaste au monde et une étape incontournable dans le Sud de l’Iran sur les routes dites de la soie, tandis que de nombreux autres sites datés de cette période jalonnent encore le paysage régional. Le travail d’inventaire et d’analyse du patrimoine culturel de ce secteur et des dégâts causés par le séisme réalisé à partir de 2003 s’est naturellement concentré sur ces monuments historiques, l’Arg-e Bam en particulier, mais il a aussi mis en évidence d’autres sites archéologiques plus anciens, datés d’avant Alexandre le Grand et l’Empire perse. Ainsi, des sites du quatrième millénaire avant notre ère ont été identifiés et un site néolithique plus ancien, Tell-e Atashi, a été sondé dans ce cadre. La présence de ces vestiges, lesquels laissaient présager un potentiel de recherche exceptionnel, a encouragé la mise en place de la nouvelle mission archéologique irano-française dans ce secteur.

Première campagne (2016) : les prospections archéologiques

Cette mission a débuté en 2016 par la mise en place d’un programme de prospection archéologique de surface, c’est-à-dire l’exploration systématique de Bam et sa région afin de repérer des sites archéologiques. Cette prospection a été conduite sur plusieurs kilomètres à l’ouest et à l’est de la ville de Bam, ainsi que dans ses périphéries nord et sud. Elle a eu pour résultat la découverte de plus de deux-cents sites archéologiques datés du Paléolithique à la période médiévale. Les périodes néolithique et chalcolithique (environ septième/sixième-quatrième millénaires avant notre ère) sont les mieux représentées. Pour cette dernière, nous pouvons noter la découverte de nombreux sites sur lesquels des céramiques fines et peintes, notamment des céramiques polychromes, ont été trouvées en grandes quantités. Des fours de potier ont aussi été identifiés sur plusieurs d’entre eux. Les styles de ces céramiques, c’est-à-dire leurs formes et leurs décors, mais aussi la façon dont elles ont été faites, nous permettent de dater ces établissements du cinquième au quatrième millénaires avant notre ère et de les rapprocher d’autres sites du Sud-Est de l’Iran où les mêmes styles ont été observés. Des parallèles pour certaines de ces céramiques sont même présents jusque dans le Sud-Ouest du Pakistan, à plusieurs centaines de kilomètres de Bam. Les objets retrouvés en surface des établissements néolithiques, sites eux aussi nombreux, consistent essentiellement en de l’outillage en pierre taillée. La céramique y est beaucoup plus rare, le plus souvent absente, et de facture plus grossière que celle observée sur les sites chalcolithiques.

Figure 2 : Site chalcolithique dans la périphérie occidentale de Bam (©BAM).

Deuxième campagne (2017) : la fouille archéologique du site de Tell-e Atashi (néolithique)

En 2017, lors de la deuxième campagne, la mission a ouvert de nouvelles fouilles sur le site de Tell-e Atashi, site néolithique majeur de la région, sondé en 2008 par Omran Garazhian. Nous avons choisi ce site néolithique en raison du manque de données relatives à cette période dans le Sud-Est de l’Iran. En effet, le néolithique de ce secteur, un secteur grand comme les trois-quarts de la France, n’est essentiellement connu que d’après les fouilles conduites dans les années soixante-dix à Tepe Yahya, site localisé à environ 170 km au sud-ouest de Bam. Au-delà du Sud-Est de l’Iran, il convient aussi de rappeler que nous en savons encore très peu quant à l’émergence des premiers villages agricoles à l’est du « Croissant Fertile » (du Levant à l’Irak et au Zagros), dans le Sud de l’Iran et jusqu’au Pakistan. Placé à mi-chemin entre le « Croissant Fertile » à l’ouest et l’Inde à l’est, l’objectif de nos fouilles à Tell-e Atashi est donc aussi de contribuer à cette recherche plus générale.

Figure 3 : Vue satellitaire de Tell-e Atashi (©Google Earth).

Tell-e Atashi mesure environ 3,6 hectares et consiste en un tell ou tepe, c’est-à-dire une butte ou petite colline artificielle formée par l’accumulation d’occupations humaines construites, détruites ou abandonnées, puis reconstruites les unes sur les autres. Pour cette première campagne, il s’agissait d’évaluer 1) l’épaisseur stratigraphique de ce site, autrement-dit la durée de son occupation, ainsi que 2) la nature des niveaux archéologiques, c’est-à-dire savoir si nous aurions affaire par exemple à des habitations, des secteurs de production artisanale, ou encore des tombes. Nous avons ainsi implanté une tranchée stratigraphique dont la fonction était d’atteindre les couches les plus anciennes du site et le sol vierge pour répondre à notre première question. Sept sondages ont été ouverts à plusieurs autres emplacements du site pour répondre à notre deuxième question. Les secteurs d’implantation de ces sondages ont en partie été décidés d’après les résultats de la prospection géophysique par la méthode magnétique réalisée par K. Mohammadkhani. Ce type de prospection permet en effet de détecter depuis la surface certains types de structures enfouies tels que les murs en brique crue, les fosses et les structures de combustion.

Figure 4 : Tell-e Atashi, tranchée stratigraphique : A. Vue de la tranchée depuis le sud et du sondage de 2008 (en arrière-plan) ; B. Vue des couches profondes dans la partie sud de la tranchée ; C. Vue de la tranchée depuis le nord et des structures en brique crue trouvées près de la surface (au premier plan) (©BAM).

La tranchée stratigraphique a fourni les résultats escomptés puisque, ayant atteint les dépôts archéologiques les plus profonds, nous avons pu mettre au jour une stratigraphie épaisse de près de neuf mètres, depuis le sol vierge jusqu’aux niveaux les plus hauts du site fouillés en 2008. Des couches parmi ces niveaux les plus récents avaient été datées par la méthode du radiocarbone d’entre la fin du sixième et le milieu du cinquième millénaires avant notre ère. Quant aux autres résultats, nous pouvons notamment mentionner la découverte de niveaux d’architecture en brique crue extrêmement bien conservée dans la tranchée stratigraphique et en particulier dans un sondage situé à environ 75 m plus au nord. Une sépulture a également été trouvée et fouillée dans ce secteur. Les fouilles de 2017 ont livré un outillage en pierre taillée, des objets et des figurines en argile, ainsi que des perles et des pendentifs en différents types de matériaux. En revanche, aucune céramique n’a été découverte. Certains de ces objets, ainsi que les briques « à trous » que nous avons trouvées en grand nombre à Tell-e Atashi, sont comparables aux exemplaires mis au jour à Tepe Yahya. Il est encore trop tôt pour dire que ces deux sites participaient du même complexe culturel (la poursuite de la fouille et l’analyse de l’ensemble des découvertes nous le diront), mais ces parallèles indiquent déjà que des liens, directs ou indirects, existaient entre ces deux sites. Cette campagne a déjà aussi permis de collecter de nombreux échantillons de faune et de flore, sous la forme de charbons pour ces derniers. Une partie de ces charbons a été sélectionnée pour qu’ils soient datés par radiocarbone.

Figure 5 : Tell-e Atashi, sondage 6 : architecture en brique crue (©BAM, modèle 3D créé par O. Nasrabadi).

Figure 6 : Tell-e Atashi, sélection d’objets en argile (©BAM).

Troisième campagne (2018) : poursuite de la fouille archéologique du site de Tell-e Atashi

En 2018, lors de la troisième campagne, la mission a poursuivi ses fouilles sur le site néolithique de Tell-e Atashi avec deux objectifs majeurs. Le premier objectif était de continuer l’étude de la stratigraphie du site dans le secteur où nous avions ouvert une tranchée stratigraphique en 2017.

Figure 7 : Vue satellitaire de Tell-e Atashi (©Google Earth) avec l’emplacement des Chantiers 1 et 2, ainsi que des précédents sondages ouverts sur ce site (sondage de 2008 et sondages TT1 à TT7 en 2017) (©BAM).

Il s’agissait d’étendre cette tranchée vers le nord afin de la lier au sondage ouvert par Omran Garazhian en 2008. Le but de cette opération était d’obtenir une vue complète de la stratigraphie du site, du moins de sa partie occidentale, depuis les niveaux d’occupation les plus hauts et les plus récents, étudiés en 2008, jusqu’aux niveaux les plus profonds et les plus anciens que nous avions atteints en 2017. Nous avons appelé la longue tranchée qui a résulté de ces travaux « Chantier 1 ». Le deuxième objectif de la campagne de 2018 était d’ouvrir une fouille extensive. La mise en place d’une fouille extensive à Tell-e Atashi était en effet indispensable pour étudier en détail l’organisation spatiale des communautés installées sur ce site entre la fin du sixième et le milieu du cinquième millénaires av. J.-C. Il s’agissait aussi d’en savoir plus sur leur architecture et leur culture matérielle et de collecter de nouveaux assemblages de faune et de flore, ainsi que de nouveaux échantillons pour datation issus de contextes archéologiques entièrement fouillés. Ces contextes auraient alors en effet plus de chance d’être mieux définis que ceux étudiés sur des surfaces limitées par le biais de sondages. L’emplacement que nous avons choisi pour cette fouille correspond au secteur du sondage 6, ouvert en 2017 à environ 75 mètres au nord-est de la tranchée stratigraphique et où nous avions découvert des vestiges architecturaux en brique crue très bien conservés ainsi qu’une sépulture. Nous avons appelé la nouvelle fouille mise en place dans ce secteur en 2018 « Chantier 2 ».

La fouille du Chantier 1

Le sondage ouvert en 2008 par Omran Garazhian mesurait 27 m². La tranchée stratigraphique ouverte en 2017 était située à douze mètres au sud de la limite méridionale de ce sondage. Elle mesurait 14,5 x 2 m. En 2018, notre objectif était de lier les fouilles de 2008 et 2017, autrement-dit, d’ouvrir une tranchée entre ces deux fouilles pour étudier les douze mètres de dépôts archéologiques qui les séparaient et ainsi obtenir une vue complète de la stratigraphie de ce secteur du site.

Figure 8 : Vue aérienne du Chantier 1 de Tell-e Atashi. Vue depuis le sud-est (©BAM).

En plus de cet objectif principal, nous avons ouvert un nouveau sondage directement au sud-est du chantier de 2008, dans sa continuité, afin de préciser la stratigraphie des occupations les plus récentes mises au jour cette année-là. Un autre sondage, quant à lui beaucoup plus profond et mesurant 2 x 2 m puis 2 x 1 m de large, a ensuite été ouvert dans le centre du Chantier 1. Ce sondage profond avait pour but d’atteindre, à nouveau, les occupations les plus anciennes du site dans ce secteur afin d’en préciser la nature sur une surface plus étendue que celle du sondage profond de 2017 et de collecter de nouveaux échantillons pour datation par la méthode du radiocarbone.

Figure 9 : Vue du sondage profond dans le Chantier 1 de Tell-e Atashi. Vue depuis l’est (©BAM).

La fouille du Chantier 1 a permis d’identifier cinq phases architecturales principales. L’architecture y est en brique crue et caractérisée notamment par des briques à cavités semblables à celles mises au jour dans le Chantier 2. L’assemblage matériel de ce chantier est également comparable à celui du Chantier 2. Le sondage profond ouvert cette année dans le Chantier 1 a confirmé la stratigraphie mise au jour lors de la campagne de fouille précédente, ainsi que l’emplacement des niveaux les plus anciens de ce secteur à près de neuf mètres de profondeur. Sept analyses radiocarbones réalisées à partir d’échantillons issus de ce chantier ont livré des datations situées entre 5300 et 4600 cal. BCE. Cinq de ces échantillons proviennent de contextes liés aux phases supérieures du site étudiées en 2008 et deux sont issus de phases plus anciennes étudiées en 2017 et 2018.

La fouille du Chantier 2

Le Chantier 2 est localisé au nord-est du Chantier 1 et mesure 165 m².

Figure 10 : Vue aérienne du Chantier 2 de Tell-e Atashi. Vue depuis le sud-ouest (©BAM).

L’objectif principal de l’ouverture d’une fouille plus étendue dans ce secteur était d’étudier en détail l’organisation spatiale des communautés néolithiques de Tell-e Atashi. Nous avons donc travaillé en priorité de façon extensive sur une seule phase architecturale. Cette phase comprend quatre complexes architecturaux, au total plus de vingt-cinq pièces et espaces extérieurs très bien conservés et étudiés entièrement pour la plupart. Avec ces découvertes, nous avons pour la première fois une vue assez précise de la façon dont les habitants de Tell-e Atashi organisaient leur espace vital.
Ils construisaient leurs murs à l’aide de briques crues séchées au soleil et empilées en rangs superposés, lesquels sont joints par une couche faite d’argile mélangée à des végétaux. Ces briques sont caractérisées par la présence de cavités sur leurs surfaces, lesquelles leur permettent d’adhérer plus facilement à cette couche.

Figure 11 : Brique crue « à cavités », aussi dite « à empreintes de pouce », issue du Chantier 2 de Tell-e Atashi (©BAM).

Les murs étaient ensuite abondamment recouverts d’une épaisse couche d’enduit argileux et sont dans plusieurs cas scandés de piliers. Les sols sont aussi faits d’argile compacte. Les toitures, probablement plates, sont faites de poutres sur lesquelles étaient placées une couche de végétaux puis une couche d’argile. Nous avons trouvé des pièces de différentes dimensions. Les plus grandes sont en général équipées d’une structure de combustion, laquelle consiste en un foyer associé à une cheminée. L’une d’elles a livré un fragment de panier carbonisé.

Figure 12 : Deux pièces du Chantier 2 de Tell-e Atashi. Vue depuis le sud-est. À noter les structures de combustion à cheminée dans les angles nord-ouest de chacune de ces pièces (©BAM).

Figure 13 : Structure de combustion à cheminée du Chantier 2 de Tell-e Atashi. Elle contenait les restes d’un panier carbonisé et des charbons (©BAM).

D’autres structures ont été trouvées dans ces pièces, notamment une niche, un podium et un bassin. Des ouvertures circulaires aménagées dans les murs permettaient d’accéder à ces pièces. C’est du moins ce qu’ont montré plusieurs pièces et cela n’exclut pas la possibilité que d’autres types d’accès aient existé, des accès depuis les toits par exemple. Si les pièces les plus grandes ont probablement fait office de pièces de vie, les pièces les plus petites pourraient bien avoir servi de pièce de stockage.

La culture matérielle

Étonnamment, qu’il s’agisse du Chantier 1 ou des fouilles plus étendues du Chantier 2, ces fouilles n’ont livré aucune céramique. Certes, cela confirme les résultats des prospections de surface, du sondage de 2008 et des sondages ouverts en 2017, mais ce résultat est peu conforme à ce qui est en général observé sur les sites iraniens datés des sixième et cinquième millénaires av. J.-C. La culture matérielle de Tell-e Atashi consiste essentiellement en de l’industrie lithique et des objets en argile non cuite. Ces derniers sont particulièrement abondants et comprennent des vaisselles miniatures, des petits cônes, des boules ou billes, des jetons, des objets qui s’apparentent par leurs formes à des pièces de jeu d’échec et des figurines.

Figure 14 : Vaisselles miniatures en argile non cuite retrouvées dans le Chantier 2 de Tell-e Atashi (©BAM).

Nous avons également trouvé des poinçons en os, de la vaisselle et des disques perforés en pierre, des perles en différents types de matériaux, ainsi que des meules. À ces objets s’ajoutent les fragments de deux paniers.

Conclusions

Avec les fouilles des Chantiers 1 et 2 à Tell-e Atashi, nous avons ouvert une nouvelle fenêtre sur les premières occupations agricoles du Dârestan et de la région de Bam-Narmashir. Nos recherches sur ce site représentent même la première étude portant sur le Néolithique et la néolithisation—les débuts de la domestication des plantes et des animaux—à l’est du Jebâl Bârez et, au-delà, l’une des rares à l’échelle du sud-est de l’Iran et des confins indo-iraniens. Les fouilles de 2018 ont précisé la stratigraphie du site et confirmé sa datation d’entre la fin du sixième millénaire av. J.-C. et le milieu du cinquième millénaire. Nous en savons aussi beaucoup plus sur la façon dont les communautés humaines implantées sur ce site organisaient leur espace et sur les objets qu’ils fabriquaient. Une fois étudiés, les restes de plantes et les ossements d’animaux que nous avons collectés lors de cette campagne nous livreront certainement d’autres détails quant à leur environnement, leurs stratégies de subsistance et leurs habitudes alimentaires. Enfin, il convient de noter que Tell-e Atashi ressemble, par ses briques à cavités et quelques autres éléments de sa culture matérielle, aux sites néolithiques et chalcolithiques de Tepe Yahya et Tal-i Iblis, tous deux localisés à moins de 200 km au-delà du Jebâl Bârez. Il nous paraît difficile de concevoir que les parallèles que nous observons entre ces sites et Tell-e Atashi soient le fruit du hasard. Selon nous, ces parallèles reflètent plutôt des liens entre les communautés de ces trois sites du Kermân, soit qu’elles aient été en contact, soit qu’elles partageaient le même fonds techno-culturel. Il n’en reste pas moins que Tell-e Atashi se démarque aussi beaucoup de ces sites par d’autres aspects de sa culture matérielle, en particulier l’abondance d’objets en argile crue et l’absence de céramique.

Bibliographie relative à la mission

Adle, C. 2006. Qanats of Bam: an archaeological perspective. Irrigation system in Bam, its birth and evolution from the prehistoric period up to modern times, in N. Honari, A. Salamat, A. Salih, J. Sutton, et J. Taniguchi (ed.) Qanats of Bam. A multidisciplinary approach: 33-85. Tehran: UNESCO Tehran Cluster Office.

Beale, T.W., et C.C. Lamberg-Karlovsky. 1986. Excavations at Tepe Yahya, Iran, 1967–1975. The early periods. American School of Prehistoric Research
Bulletin 38. Cambridge (MA): Peabody Museum of Archaeology and Ethnology, Harvard University.

Caldwell, J. 1967. Investigations at Tal-i Iblis. Illinois State Museum Preliminary Reports 9. Springfield: Illinois State Museum Society.

Caldwell, J. 1968. Pottery and Cultural History on the Iranian Plateau. Journal of Near Eastern Studies 27 (3): 178-183.

Garazhian, O. 2009. Darestan: a group of Pre-Pottery Neolithic (PPN) sites in southeastern Iran. Antiquity 83 (319). Available at: http://www.antiquity.ac.uk/projgall/garazhian319/.

Garazhian, O., et B. Mutin. À paraître. Application of Landscape Archaeology in Archaeological Survey. Examples from Bam-Narmashir, Southeastern Iran (en persan). Journal of the Iranian Center for Archaeological Research 1.

Garazhian, O., B. Mutin, et K. Mohammadkhani. 2019. Comparative Assessment of Geomagnetic Survey Results with Archaeological Test-Trenches. Case study of Tell-e Atashi, Darestan, Southeastern Kerman (en persan). 16^th Annual Symposium on the Iranian Archaeology (A Collection of Short Articles 2016, 2017, 2018).

Garazhian, O., et M. Shakooie. 2013. Tell-e Atashi (Bam, Southeastern Iran) and the Neolithic of the Eastern Near East, in R. Matthews, et H. Fazeli Nashli (ed.) The Neolithisation of Iran. The Formation of New Societies (British Association for Near Eastern Archaeology Publication Series 3): 284-296. Oxford and Oakville: Oxbow Books.

Mutin, B., et O. Garazhian. 2018. Bam Archaeological Mission (BAM). A New Archaeological Research Program in Kerman Province, Iran. Antiquity 92 (363). https://doi.org/10.15184/aqy.2018.101.

Mutin, B., et O. Garazhian. À paraître. Iranian-French Archaeological Mission in Bam, Kerman. Summary of Field-Seasons 2016-2017. Journal of the Iranian Center for Archaeological Research 2.

Soleimani, N.A., M. Shafiee, N. Eskandari, et H.M. Salehi. 2016. Khaje Askar: a 4^th-millennium BC cemetery in Bam, south-eastern Iran. Iranica Antiqua 51: 57-84.

Conférences et séminaires relatifs à la mission

Mutin, B., et O. Garazhian. Avril 2019. Reinvestigating the Neolithic Period in Southeastern Iran and the Indo-Iranian Borderlands: Results from Recent Field Research in Darestan, Iran. First International Conference “The East” (Bruxelles, Belgique).

Mutin, B. Mars 2019. The Chalcolithic and early Bronze Age cultures between Makran and the Helmand Valley (Iran, Pakistan, Afghanistan). Contributions from recent field research and museum collections analysis. 11^th Annual Workshop on South Asian Archaeology, Harvard University (Cambridge, MA, États-Unis).

Garazhian, O., B. Mutin, et K. Mohammadkhani. Mars 2019. Comparative Assessment of Geomagnetic Survey Results with Archaeological Test-Trenches. Case-Study of Tell-e Atashi, Darestan, Southeastern Kerman. 16^th Annual Symposium on the Iranian Archaeology (Téhéran, Iran).

Mutin, B. Février 2019. Investigating the Food Production Revolution East of the Fertile Crescent. New Data from Recent Field Research in Eastern Iran. Harvard University, Department of Anthropology, Archaeology Program Seminar Series (Cambridge, MA, États-Unis).

Mutin, B. Avril 2018. On the Tracks of the Earliest Farmers of South Asia. Archaeology: How does it work? Taste of Science Boston (Boston, MA, États-Unis).

Mutin, B. & O. Garazhian. Décembre 2017. À la recherche des premiers fermiers du sud de l’Iran et des confins indo-iraniens. Premiers résultats de la nouvelle mission archéologique irano-française à Bam-Narmashir, au sud du désert du Lut. Institut Français de Recherche en Iran (Téhéran, Iran). (annonce et fichier MP3)

Garazhian, O., et B. Mutin. Décembre 2017. New Archaeological Research in Bam-Narmashir, Kerman. Second International Conference on the Archaeology of Southeastern Iran (Jiroft, Iran).

Mutin, B., et O. Garazhian. Novembre 2017. Recent Archaeological Research in the Southern Periphery of the Lut Desert, Iran. ASOR Annual Meeting – American Schools of Oriental Research (Boston, MA, États-Unis).

Garazhian, O., et B. Mutin. Juillet 2017. New Iranian-French Joint Archaeological Mission in Bam (Southeastern Iran). Results of Field Season 2016 and Objectives. Iranian Center for Archaeological Research (Téhéran, Iran).

Mutin, B., et O. Garazhian. Avril 2017. Objectives and First Results of the New Bam Archaeological Mission (Southeastern Iran) and their Implications for the Archaeology of South Asia. 9th Annual Workshop on South Asian Archaeology (CUNY, The Graduate School and University Center, États-Unis).

Mutin, B., et O. Garazhian. Janvier 2017. The Neolithization of Northwest South Asia: Fresh View from New Bam Archaeological Mission, Kerman, Southeastern Iran. Annual Meeting of the New England Association for Asian Studies, Asia: Past, Present, Future (Boston College, États-Unis).

Entretiens pour la première et la quatrième chaînes de télévision iraniennes, Fars News et TolueArg. (lien)

Dernière mise à jour : mars 2019

Mission archéologique franco-iranienne dans le Khorasan (MAFIK)

Afin de développer les recherches archéologiques dans l’Iran oriental (fig. 1), le Musée du Louvre en collaboration avec le Centre de Recherche du Patrimoine Culturel et du Tourisme Iranien et le Centre Iranien de la Recherche Archéologique proposent de réaliser des activités dans la région au nord-est du Khorasan-e Razavi (fig. 2). Plus globalement, l’objectif de ce projet scientifique est d’étudier la région du Khorasan dans sa complexité territoriale et historique à travers l’investigation des occupations humaines, depuis l’Antiquité jusqu’à la période islamique. Le programme de recherche se focalise donc sur les dynamiques d’occupation de cette vaste région en étudiant l’évolution des comportements humains, l’évolution urbaine et culturelle. Dans ce large contexte, l’un des intérêts majeurs est de reconsidérer le phénomène urbain depuis l’époque post-achéménide et hellénistique, le considérant ainsi à travers le prisme des relations entre ces entités urbaines et les villes iraniennes occidentales et orientales. Ce programme vise ainsi à l’étude et à l’identification des facteurs qui ont donné lieu aux évolutions culturelles entre l’Antiquité et l’époque islamique. L’intérêt est également d’étudier en détail les productions locales et les importations afin d’investiguer en profondeur les dynamiques des échanges entre l’Orient méditerranéen et l’Orient.

Figure 1 : Carte générale du Monde iranien.

Enfin, une étude plus globale sera dédiée aux routes caravanières. Dans ce contexte, les travaux réalisé par Chahryar Adle dans le Khorasan, ainsi que les travaux réalisés par la Mission Archéologique Franco-Ouzbèke dans l’oasis de Boukhara enrichiront et compléteront les nouvelles recherches dans le Khorasan nord-oriental.

Figure 2 : Carte du Khorasan.

Quelques éléments historiques

Depuis le 3^ème siècle avant notre ère, des populations venant des frontières du Karakum migrèrent vers le sud et le sud-ouest, occupant ainsi en partie les côtes orientales et sud-orientales de la Mer Caspienne. Appelées Dahae, ces populations semi-nomades entamèrent un processus de conquête vers le sud et le sud-ouest, occupant ainsi la Parthie, puis les régions plus à l’ouest. Les années suivantes confirmèrent l’émergence d’un nouveau pouvoir et virent la création d’un Empire parthe, couvrant un territoire qui s’étendait de la Mésopotamie à la Vallée de l’Indus.

Occupant des régions où le phénomène urbain était déjà développé, les Parthes absorbèrent les caractéristiques culturelles locales en les transformant et en les adaptant plus tard à leurs traditions. Cette dynamique, il semble, fût rapide et exponentielle. De nouvelles villes virent le jour et des villes existantes se transformèrent selon les caractéristiques spécifiques aux coutumes parthes qui, bien que gardant un esprit traditionnel d’origine nomade, avaient acquis des éléments venant de l’est et de l’ouest.

Ces deux facteurs, géographique et culturel, mènent à considérer la Parthie et la Margiane comme le territoire embryonnaire de la formation de la culture parthe (fig. 3). En outre, à cette période, ces deux régions, grâce aussi à l’occupation parthe, avaient entamé un processus de « fusion culturelle », qui donnera lieu plus tard au Khorasan.

Figure 3 : Carte du Moyen-Orient, montrant les régions de Margiane et Parthyène.

Le toponyme Khorasan signifie « l’endroit où le soleil se lève », ce qui très explicitement oriente le regard vers l’est, sans pour autant poser de limites précises. À la lumière des découvertes archéologiques et de l’étude des sources sassanides, une limite orientale datant du 6^ème siècle de notre ère peut se situer sur le fleuve Murghab (Rante 2015), celui qui plus au nord s’étale en delta, générant l’oasis de Merv. Toujours à la même époque, le mur dit d’Alexandre protégeant la région du Gorgan, ainsi que les grands déserts iraniens ont constitué sa limite occidentale. Cette région, Gorgan-Qumis, était rattachée à l’entité administrative d’Abarshahr qui correspond au futur territoire du Khorasan, comme l’a aussi montré Rika Gyselen (Gyselen 1989 ; Gyselen 2003). La limite nord suivait vraisemblablement le fleuve Atrek, incluant les oasis de Tedjen et de Merv. La limite sud, plus difficile à établir, s’arrêterait à l’actuelle région du Khorasan Junubi (Khorasan méridional), juste au nord du Sistan, qui était déjà à l’époque une région très aride. Les nombreuses prospections réalisées avec Chahryar Adle dans ces régions du Khorasan du sud ont mis en évidence une sorte de limite des occupations parthes vers le sud.

Avant l’existence de ce Khorasan embryonnaire (fig. 4), les peuples des Aparni avaient occupé cette vaste région, qui se partageait grosso modo en une portion de la Margiane, une portion de la Parthie et une portion de l’Aria. Ce n’est qu’au 6^ème siècle de notre ère que remontent les premières références à ce toponyme, un phénomène qui peut être dû à la restructuration des provinces sous Khosrow I. Mais ce premier embryon territorial s’étendit rapidement vers l’est sous les effets de la conquête sassanide des territoires de la Bactriane, jusqu’au Badakhshan (Gyselen 2003, pp. 165-166). Grâce aux dernières découvertes (Rante and Collinet 2013), il est connu aujourd’hui que Nishapour a été fondée à la fin du 4^ème siècle de notre ère et Balkh (Gyselen 1989, p. 88 ; Gyselen 2003, pp. 165-166) n’était sous l’administration sassanide qu’à partir environ du 6^ème siècle. Le Khorasan aurait été ainsi plutôt considéré à cette époque comme un grand territoire de l’Empire sassanide.

Figure 4 : Carte du « Khorasan propre ».

C’est en effet à partir de cette période que le Khorasan est défini comme divisé en quatre grandes provinces : Nishapur, Merv, Herat et Balkh. Toutefois, l’occupation sassanide de l’Iran oriental ayant été de facto éphémère (Gyselen 2003, p. 166) et les centres administratives orientaux plus de quatre, il est difficile et périlleux de vouloir fixer précisément les limites orientales du Khorasan. En outre, si l’entité administrative du Khorasan avait existé avant le 6^ème siècle de notre ère, ses frontières orientales correspondraient au Murghab. Au 5^ème siècle de notre ère, Moïse de Khorène, en décrivant les provinces orientales de l’Empire sassanide, mentionnait plusieurs toponymes, comme Tirmidh, Boukhara (Diz-i Awaza ?) ou Paykend (Diz-i Roin ?) (Marquart 1901, p. 108 n. 2).

La conquête islamique ne fit que reprendre le toponyme, sans en saisir précisément les limites et en l’utilisant, au tout début, plutôt comme une référence d’orientation. On constate d’ailleurs encore aux 8^ème-9^ème siècles une confusion dans les sources écrites quant aux frontières à lui attribuer. Toutefois, une dynamique est clairement observable, l’expansion de l’Empire islamique est directement proportionnelle à l’extension de l’acception du Khorasan. Une confirmation de ce phénomène pourrait venir de la source pahlavie datée du début de l’époque abbasside (Marquart 1931, pp. 8-13) dans laquelle le Khorasan est divisé en douze capitales : Samarkand, Navarak, une ville sans toponyme du Khorezm, Marw al-Rudh, Merv, Herat, Bushanj (Pushang), Tus, Nishapur, Qayin, Gurgan et Qumis.

Grâce aux découvertes archéologiques iraniennes (M. Labbâf-Khaniki 1394/2015 ; R. Labbâf-Khaniki 1378/1999) et françaises (Rante and Collinet 2013 ; Rante 2015 ; Labbaf Khaniki and Rante, Encyclopaedia Iranica, en presse), on pourrait identifier le Khorasan avant les 8^ème-9^ème siècles comme étant une entité plus restreinte, « Khorasan propre », et celui postérieur à cette date un Khorasan plus étendu, « grand Khorasan » ou « Khorasan-e Bozorg » (fig. 5).

Figure 5 : Carte du « Grand Khorasan ».

Plus concrètement, le premier Khorasan embryonnaire était constitué de l’oasis de Merv, Herat, Zuzan, suivant les frontières des déserts iraniens jusqu’aux côtes sud-orientales de la Mer Caspienne, laissant dehors le Qumis, mais en incluant la province de Gurgan.

Ce n’est que sous la dynastie clanique des Tahirides (9^ème siècle), gouverneurs du Khorasan depuis Nishapour, que le Khorasan acquit des limites qui sont celles du territoire administré par cette dynastie persane au nom du Calife de Bagdad. C’est donc à partir de ce moment que nous pouvons parler de Grand Khorasan, une entité territoriale qui « explose », s’étendant encore davantage vers le nord, jusqu’à l’Oxus et au-delà, et vers le sud jusqu’au Kuhestan, en conservant la frontière naturelle constituée par les déserts iraniens à l’ouest. Et c’est aussi à cette époque que la région acquit sa stabilité politique et administrative. Les Tahirides furent les promoteurs d’un élargissement de la région et leur dynamisme économique et culturel a fait de ce territoire et de ses villes principales, Nishapour, Merv, Herat et Balkh, une aire prospère et politiquement stable. La Route du Khorasan, joignant Nishapour à Merv et cette dernière à Boukhara, mentionnée par toutes les sources écrites, en est une preuve.

Problématiques et questions

Dans un contexte plus large, depuis l’occupation parthe, et encore plus durant l’époque sassanide, le Khorasan absorba les éléments culturels liés à ces populations semi-nomades venant du nord et du nord-est. Ces éléments se sont concentrés dans ce territoire qui, à cette époque embryonnaire, n’avait pas de frontières administratives. Son toponyme, d’ailleurs, n’existait pas encore. Ensuite, l’occupation sassanide et puis islamique fixèrent un status politique à cette région, renforçant ainsi son développement culturel. Dans ce nouveau cadre géo-historique, comment cette région était-elle administrativement divisée ? Dans un contexte géomorphologique et culturel caractérisé par l’occupation de territoires des piémonts et des vallées, et donc souvent morcelée par les chaînes de montagnes, comment chaque micro-région s’organisait-elle ? De quelle façon ces entités territoriales se développèrent-elles depuis l’époque parthe au début de l’époque islamique ? Comment les entités urbaines, ou villageoises, étaient-elles liées entre elles et comment leurs relations sociales et politiques s’organisaient-elles ? Enfin, comment ces facteurs géo-historiques ont-ils évolués dans le cadre des routes caravanières ?

Dans un cadre plus centré sur la culture matérielle, quelle a été l’évolution des artefacts depuis l’époque parthe, et surtout dans les périodes charnières partho-sassanide et sassanide-islamique ? À la lumière des nouvelles découvertes dans l’oasis de Boukhara et plus généralement de Sogdiane, comment les liens politiques et culturels entre ces deux régions du Moyen-Orient et de l’Asie centrale se sont-ils développés ? Une évolution de la production céramique a déjà été observée dans le Khorasan et en Transoxiane depuis le 9^ème siècle, livrant déjà un élément important qui met en relation et lie culturellement ces deux entités géographiques et culturelles. L’indépendance administrative et économique partielle des Tahirides de Nishapour rendirent possible l’expansion de caractéristiques culturelles jusqu’aux frontières du Khorasan et au-delà de l’Oxus, surtout sous le gouvernement de Talhal (822-828), période de majeure intensité du rayonnement Tahiride au Khorasan et en Asie centrale. Cela se restreint malheureusement seulement à certaines productions très spécifiques de cette région. Une étude plus globale aidera à identifier les autres nombreuses productions qui ont pu être échangées dans le Khorasan ainsi que dans le Ma wara’ an-nahr.

Dans un cadre évolutif, on pourrait émettre l’hypothèse que depuis les Parthes, la région a constitué un noyau culturel assez distinctif. La céramique grise parthe ou peut-être plus ancienne, les études d’Haerinck, la production céramique à l’époque islamique ou la province sassanide d’Abarhsahr, mèneraient à identifier ici un berceau culturel dès l’époque parthe. Nous serions même tentés d’avancer l’hypothèse qu’une culture se soit déjà mise en place avant les Parthes, peut-être bien avant les Achéménides, mais cela reste à étayer.

Afin de répondre à ces questions, valider et affiner ces données, et de confirmer ou infirmer ces hypothèses, des recherches seront à mener dans des aires bien précises, au nord et au sud du Khorasan-e Razavi. Il faudra ensuite croiser ces données avec des éléments extérieurs au Khorasan, afin de définir finalement les frontières politiques et culturelles du Khorasan, ainsi que déterminer les contextes culturels d’origine du Khorasan et de son évolution.

Opérations archéologiques

Afin de répondre à ces questions, ce projet se propose de focaliser l’étude archéologique dans la zone au nord du Khorasan-e Razavi, dans la région de Dargaz, dans ce qui peut être appelé le « Khorasan propre ». Cette aire a déjà été prospectée en 2018 par une équipe dirigée par Rocco Rante et Meysam Labbaf Khaniki, sous l’égide du Miras-e Faranghi-e Mashhad, sous la direction de M. Toghrai. Le site sélectionné est Chapeshlou Tepe, ou Shar Tepe, au sud de la ville de Dargaz (fig. 6). Le site couvre une surface de 70 hectares et il est composé de plusieurs entités urbaines, toutes encadrées par deux importants cours d’eau, dont un était asséché lors de notre prospection. Le site est alimenté en eau depuis le nord, il s’installe sur une pente légère du piémont d’une des chaines du Kopet Dagh. Dans les années 2000 le site avait été investigué par M. Hasanabadi, puis par M. Nami, dans un cadre de doctorat. Aucune publication spécifique n’a été produite à ce jour.

Cette étude va donc permettre de définir la culture de cette région depuis ses premières installations humaines. Les prospections réalisées ont montré une occupation continue qui date au moins de l’époque parthe. Nombreux sont aussi les sites autour datant de l’Âge du bronze.

Figure 6 : Khorasan, région de Dargaz, Chapeshlou Tepe – Shar Tepe.

L’intérêt de cette région demeure non seulement dans la complexité culturelle du Khorasan et du plateau iranien, mais aussi dans ses liens avec les steppes d’Asie centrale, du Turkménistan actuel, des oasis de Merv et du Tedjen, ainsi qu’avec les sites d’Abiverd, Nisa, Merv et d’autres, jusqu’à l’oasis de Boukhara au nord et à Bactres/Balkh à l’est.

Le programme de recherche comprendra, du début, une étude géomorphologique de la région afin d’appréhender les caractéristiques naturelles et d’en saisir l’évolution, jusqu’à nos jours. La réalisation d’une topographie générale du site figurera parmi les activités prioritaires. L’acquisition et l’étude des cartes topographiques et géologiques anciennes est déjà en cours. La poursuite de la prospection archéologique de cette aire et le début de prospections des territoires alentour seront nécessaires afin d’appréhender le contexte régional à une échelle bien plus large. Dans ce cadre, l’étude des routes anciennes sera menée afin de mieux comprendre les dynamiques d’échanges et les liens entre micro-régions, villes et villages. Les activités de fouille se divisent pour le moment en deux opérations : la fouille stratigraphique du tepe principal et la fouille extensive du tepe qui se situe en contrebas, le shahrestan. Une fois établie la chronologie, des prospections géomagnétiques seront menées sur les deux tepe afin d’évaluer les structures plus en surface et essayer de comprendre le système urbain qui caractérisait ces occupations. La fouille nous aidera à en saisir l’évolution urbaine et structurale. Une étude globale de la culture matérielle (céramique, verre, métal, etc.) sera précisée au long des découvertes.

La prospection archéologique a montré l’existence de fragments de céramique allant de l’époque parthe jusqu’à la période sassanide. La céramique grise, datable à titre préliminaire de l’époque parthe, pourrait aussi remonter à des époques plus anciennes, comme l’ont montré nos travaux antérieurs à Rayy où certains types de céramique grise ont été datés par thermoluminescence à l’Âge du fer I-II. La région qui nous intéresse aujourd’hui présentant des occupations importantes datables de l’Âge du bronze, il n’est en effet pas exclu qu’ici aussi certains types de céramiques puissent se rattacher plutôt à l’Âge du fer. Cela ne serait que la preuve d’une continuité d’occupation, au moins jusqu’à la période sassanide.

Fouilles à Bazeh Hur/Robat-e Sefid

En octobre-novembre 2018, il nous a aussi été possible de réaliser une deuxième mission archéologique, dont le but était aussi de fixer nos objectifs de recherche et de fouille sur différents sites du Khorasan-e Razavi.

Dans ce cadre, nous avons décidé de réaliser une première campagne de fouille au sud de la région de Dargaz, au sud de Mashhad, à Bazeh Hur/Torbat-e Sefid. Ce site, bien que rural et éloigné des grands centres comme Nihsapour, Sabzevar, Dargaz ou Kerman, présente un intérêt majeur grâce à sa localisation géographique et à sa géomorphologie. Il est en effet situé sur la route caravanière reliant Nishapour-Dargaz-Tus à Torbat-e Hedariyeh-Kerman-Bam, ou à Faradgherd-Torbat-e Jam-Herat. Il est situé dans une vallée, traversé par cette route caravanière et par une rivière importante appelée « Rud-i Divuneh », « la rivière folle », à cause de l’importance du débit de son cours, qui aujourd’hui ne coule plus le long de ses bermes. La violence des eaux de cette rivière est toutefois très perceptible au simple examen des sections des bermes, où les accumulations de sédiments laissés par la rivière apparaissent avec une grande netteté (fig. 7). Des bandes horizontales constituées de lœss et/ou de mini-gravier de couleur noirâtre sont en effet visibles sur ces coupes, atteignant parfois une hauteur de 15 m.

Figure 7 : Bazeh Hur/Robat-e Sefid, séquence géomorphologique.

Les premières occupations humaines se sont installées sur la dernière de ces accumulations, à une distance de sécurité du lit de la rivière, au centre de la vallée. Les traces d’autres occupations humaines ont été identifiées plus en amont, vers le sud, en suivant la route caravanière. L’occupation la plus ancienne semble avoir eu lieu dans cette zone plus au sud et daterait, d’après les résultats préliminaires de la fouille, de l’époque sassanide, peut-être entre le 5^ème et le 7^ème siècle de notre ère. Un Chahar Taq situé au pied d’une montagne fait état de monument commémoratif le long de la route ancienne. Au sommet de cette montagne, Qaleh Dokhtar fait état de monument commémoratif et probablement de petite résidence, s’étalant sur environ 400 m² (fig. 8). Ce bâtiment est lié à un autre bâtiment fortifié, situé de l’autre côté de la montagne. Les deux bâtiments sont reliés par un mur défensif en briques crues qui suit la crête du massif rocheux.

Figure 8 : Qaleh Dokhtar, bâtiment commémoratif.

La fouille archéologique de Qaleh Dokhtar a mis au jour une pièce avec un basin carré de 4,50m de côté et 2,50m de profondeur, autour duquel, au niveau du sol en haut, étaient disposées quatre colonnes finement décorées en stuc, qui se sont depuis effondrées à l’intérieur du bassin. D’autres recherches seront à prévoir pour déterminer la nature du bâtiment, mais les travaux conduits cette année montrent d’ores et déjà que ce monument présente un grand intérêt de par sa situation générale en lien avec le Chahr Taq situé à ses pieds et avec la route caravanière.

Comme indiqué supra, d’autres occupations humaines ont été observées plus au nord, le long de la rivière. Une prospection intense de ce secteur nous a permis d’identifier un monument à plan carré. Les tours d’angles encore visibles ont été relevées, montrant ainsi un carré parfait de 34m de côté. La fouille d’une partie du rempart et des niveaux intérieurs du monument a montré le faible niveau d’occupation, s’étalant du 9^ème au 14^ème siècle (fig. 9). Les premiers résultats semblent indiquer que le monument était probablement dédié à l’accueil temporaire de populations, peut-être des pèlerins ou des commerçants en voyage sur la route caravanière. Il s’agirait probablement d’un caravansérail datant du 10^ème siècle. Un autre caravansérail, d’époque plus tardive (16^ème siècle), a été édifié encore plus près de la route ancienne, illustrant de manière encore plus éclatante la nature du lieu comme arrêt pour les caravanes de cette petite région.

Figure 9 : Robat-e Sefid, tranchée A.

Bibliographie

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Dernière mise à jour : décembre 2018