Présentation
Alors que l’Iran n’est pas perçu comme un pays d’émigration, ce pays constitue, depuis le début du 20ème siècle, une source importante de mouvements de population, entrante, bien sûr (avec, ces dernières années, notamment, les réfugiés afghans) mais aussi sortante, notamment, avec au début du vingtième siècle la réforme des douanes de 1902 et la révolution constitutionnelle de 1905.
Avec plus de cinq millions d’Iraniens en dehors des frontières nationales, l’Iran est aujourd’hui une nation diasporique. Cette diaspora est une composante essentielle de la société iranienne dans son intégralité. Non seulement la présence des Iraniens à l’étranger permet d’élargir les frontières conventionnelles du pays, de multiplier les formes d’appartenance et les modalités d’identification mais elle est également génératrice de nouvelles mobilités : s’il y a le départ, il y a aussi le retour ainsi que tous les déplacements qui peuvent intervenir sans ce retour définitif (norias).
L’immigration iranienne présente un certain nombre de spécificités : pour la France, elle commence au début du 19ème siècle : défaites contre la Russie en 1813 et 1828, rejet du colonialisme britannique, le français comme langue officielle et diplomatique dès 1902, avec l’envoi de nombreux étudiants en France. Cette immigration se distingue ainsi d’une immigration de proximité, comme celle vers Istanbul, dans un premier temps alimentée par des commerçants essentiellement azéris, avant les vagues d’immigration politique, comme le rappelle le livre publié en 1993 par l’IFRI et l’IFEA, Les Iraniens d’Istanbul (même si, dans un second temps, une population moins éduquée ou fortunée a alimenté également les migrations, pour des raisons économiques).
En France, après 1908, les raisons politiques des migrations deviennent plus prégnantes (notamment avec le renversement de Mossadegh en 1953, l’exil de l’Ayatollah Khomeiny en 1962, la révolution de 1979 et la guerre Iran-Iraq dans les années 80). L’immigration iranienne (25000 personnes environ) se distingue ainsi d’autres migrations par le fait qu’elle est à la base une immigration « d’affinités culturelles, confessionnelles et politiques » plus que de travail.
La remarque vaut pour les migrations vers d’autres pays, comme les États-Unis où l’immigration iranienne est à l’origine fortunée, éduquée (même si, dans un second temps, une population moins éduquée ou fortunée a alimenté également les migrations) et les minorités religieuses y sont statistiquement surreprésentées par rapport à leur poids dans la population iranienne.
Les mécanismes d’appartenance diasporique s’y révèlent complexes, avec une sociabilité construite sur des bases ethno-confessionnelles sur lesquelles se superpose une affiliation communautaire plus générale iranienne.
La question du rôle des réseaux est au cœur de ces mouvements de population, en France comme ailleurs : l’exemple « d’Irangeles » (iraniens a Los Angeles) est à cet égard parlant. Les capitales européennes ou internationales, comme Londres, Paris ou Los Angeles, constituent toujours aujourd’hui des pôles d’échange et de rencontre importants pour la diaspora iranienne, à tel point que dès 2001, Fariba Adelkah écrivait « qu’il est de plus en plus difficile de comprendre certaines transformations de la société iranienne sans intégrer le facteur californien ».
Cependant, la géographie des mobilités iraniennes s’est récemment élargie sur des réseaux d’échanges anciens ou sur de nouvelles destinations (Dubaï par exemple). Pour les nouvelles classes moyennes iraniennes qui ont émergé après la révolution, les espaces de l’étranger proche sont devenus des lieux ressources pour accéder à des formes de socialisation à l’international, comme Istanbul, Dubaï, Erbil (au Kurdistan irakien), Tbilissi ou Erevan.
L’Iran est par ailleurs un pays d’immigration : l’accueil de réfugiés, essentiellement afghans et dans une moindre mesure irakiens a renouvelé le cadre juridique de l’asile, la mobilisation des organisations non gouvernementales et l’application de certains droits. Ces dynamiques de mobilité et de circulation se sont diversifiées dans le temps et se manifestent aujourd’hui dans des domaines variés. Elles influencent profondément la société iranienne et, de manière informelle, mettent au cœur des circulations transnationales, des acteurs infra étatiques, non institutionnels qui sont des facteurs clé de l’évolution de la société iranienne.
Ainsi, dans le domaine culturel et artistique, ces dynamiques sont particulièrement prégnantes et demeurent peu étudiées : les arts visuels, depuis les arts plastiques traditionnels jusqu’aux techniques nouvelles de la photographie, le cinéma, l’art vidéo et l’art numérique, constituent une sphère d’influences multiples, externes et internes, dont l’observation permet de mettre en exergue l’apport des mobilités sur les processus de création. En même temps, le voyage et la migration, en tant que pratiques sociales généralisées dans la société iranienne, deviennent aussi l’objet même de la création artistique.
Publications
Faribah Adelkah, Les mille et une frontières de l’Iran, en cours de traduction.
Évènements scientifiques
- 10-11 novembre 2019 – Colloque Questions de frontières
Le colloque international « Questions de frontières » s’attachera à appréhender la frontière dans le monde contemporain, en gardant à l’esprit l’arrière-plan historique de son émergence, y compris dans le temps long. Dans le cadre d’une approche volontairement générale et comparative, une attention particulière sera portée à la question des frontières dans le monde iranien (frontières terrestres et maritimes, extérieures ou intérieures). Le colloque n’adoptera pas de définitions normatives des frontières, dans la mesure où ces dernières peuvent répondre à des logiques morales, économiques, culturelles ou religieuses différentes.
Ce colloque sera organisé par l’Université Tarbiat Modares et l’Ambassade de France en Iran avec le soutien de l’IFRI. Les langues du colloque seront le français et le persan.
- 12-14 novembre 2017 – Journées d’études Mobilités humaines et Création
Les Journées d’études « Mobilités humaines et Création » ont été organisées par l’Ambassade et l’IFRI les 12 et 14 novembre à Ispahan puis Téhéran via le Fonds d’Alembert. Structurées autour de six panels, elles ont connu un grand succès et été animées par plus de vingt intervenants parmi lesquels des artistes, chercheurs, critiques d’art et responsables d’institutions culturelles. L’objectif était d’étudier l’impact des vagues successives de mouvements de population entrantes et sortantes, que l’Iran a connues depuis le début du 20<sup>ème</sup> siècle sur la création intellectuelle et artistique. La direction scientifique des journées a été confiée au chercheur Amin Moghadam. Les journées d’études ont été l’occasion de créer de nouveaux partenariats y compris en province avec la Maison safavide d’Ispahan dirigée par M. Ghanaei, architecte francophone spécialisé dans la restauration du patrimoine. Y participaient notamment Mina SAIDI, Fariba ADELKHAH, Serge WEBER, Rose ISSA…
Plus d’informations sur le site de l’évènement : http://ifriran.org/mobilites.
- 6-7 juin 2016 – Conférence Parcours migratoires : deux regards croisés
Cette conférence, traduite en français et en persan, organisée par l’Institut Français de Recherche en Iran (IFRI) et la Fondation Lajevardi portait sur l’œuvre de l’artiste Ghazel et du travail du sociologue Amin Moghadam.
L’intérêt grandissant des chercheurs en sciences sociales pour le travail des artistes en Iran témoigne du potentiel que représentent leurs œuvres dans la compréhension des phénomènes de société. Ghazel, artiste visuelle, et Amin Moghadam, chercheur en sciences sociales, spécialiste des questions migratoires, ayant tous deux des parcours migratoires similaires notamment entre l’Iran et la France, se sont interrogés, chacun dans leur travail respectif, sur l’expérience du voyage, de la migration, de la rencontre et du cosmopolitisme. Le dialogue qui s’est établi entre eux présente un intérêt épistémologique pour le chercheur dont la mission consiste à donner une vision objective de la société alors que l’artiste examine sa subjectivité à l’aune des discours scientifiques pour évoquer les mêmes thématiques dans son travail. Cette présentation en forme de dialogue permettra d’aborder le travail de l’un et de l’autre à travers les questions relatives à l’appartenance nationale, aux mobilités humaines, et à la réception différenciée de l’œuvre d’une artiste qui voyage à travers des champs locaux, régionaux et globaux.
L’annonce de la conférence est disponible ici.