M. Blaise DUCOS, conservateur au département Peintures du musée du Louvre
« Vermeer, un peintre exceptionnel, une exposition éblouissante au musée du Louvre »

Le 13 mai 2018

Cette conférence a deux objectifs : rappeler la nature de la contribution de Johannes Vermeer (1632-1675) à l’histoire de la peinture hollandaise du XVIIe siècle ; évoquer le projet qui, en 2017, a permis de montrer au musée du Louvre, pour la première fois, douze tableaux de l’artiste, mis en regard de chefs-d’œuvre de ses rivaux.

Le troisième quart du XVIIe siècle marque l'apogée de la puissance économique mondiale de la république des Provinces-Unies (l’actuel royaume des Pays-Bas). Les membres de l'élite hollandaise se font gloire de leur statut social. Ils exigent un type d'art qui reflète cette image. Dans ce contexte, la « nouvelle vague » de la peinture de genre – la représentation d’activités de la vie quotidienne, subtilement mise en scène – voit le jour au début des années 1650 : les artistes commencent alors de se concentrer sur des scènes idéalisées et superbement réalisées de vie privée (les tableaux montrent des intérieurs), avec des hommes et des femmes installant une civilité orchestrée.

Vermeer n'était, il faut le comprendre, que l'un des maîtres excellant dans la représentation élégante de scènes de la vie quotidienne. Sa Laitière (Amsterdam, Rijksmuseum) – qui était présente à la seule étape parisienne de l’exposition – apparemment du registre commun, est en réalité exhaussée au niveau d’une image atemporelle, et prise elle aussi dans un jeu de références croisées. Parmi les autres grands peintres de genre, Gerard Dou (Leyde), Gerard ter Borch (Deventer, à l’est, dans la province d’Overijssel), Jan Steen (Haarlem), Pieter de Hooch (Delft et Amsterdam), Gabriel Metsu (Amsterdam), Caspar Netscher (sur la côte, à La Haye) et Frans van Mieris (Leyde) peignent dans différentes villes de la république : leurs œuvres n’en présentent pas moins de fortes similitudes sur le plan du style, des sujets, de la composition et de la technique. Ils puisaient très souvent leur inspiration dans les œuvres de leurs collègues, essayant de se surpasser mutuellement tant par le souci extrême de vraisemblance, que par la prouesse technique. Cette rivalité artistique dynamique a contribué à la qualité exceptionnelle de leur œuvre combiné. Jamais dans une exposition on n’avait envisagé sous un tel angle ces peintures, en raisonnant à l’échelle des Pays-Bas.

Les riches citoyens néerlandais du temps de Vermeer qui souhaitaient être considérés comme de sérieux amateurs d'art devaient être en mesure de comparer les œuvres, de reconnaître la main d'un artiste et de remarquer les emprunts stylistiques ou thématiques faits à d’autres artistes. L'exposition invitait donc les visiteurs à entrer dans ce rôle et à comparer de petits groupes de peintures évoquant le croisement de différentes inspirations. Ils auront pu constater que les artistes avaient des façons bien à eux d'intégrer, de modifier voire de déguiser leurs emprunts.

« Le sphinx de Delft » : c’est ainsi que l’on désigne souvent Vermeer, figeant le peintre dans une attitude énigmatique et solitaire. Comme si la beauté des peintures de Vermeer tenait à une maturation recluse et précieuse. L’exposition permettait au contraire aux visiteurs de comprendre comment Vermeer et les peintres de scènes de genre actifs en même temps que lui s’admiraient et rivalisaient les uns avec les autres dans l’élaboration de scènes élégantes et raffinées. L’exposition a accueilli, de février à mai 2017, 325 000 visiteurs.

 

Blaise Ducos est, depuis 2005, chargé de la peinture flamande et hollandaise des XVIIe et XVIIIe siècles au musée du Louvre. Conservateur en chef, docteur en histoire de l’art, il a été le commissaire d’expositions consacrées notamment à la peinture européenne du XVIIe siècle (Japon, 2009), à Rembrandt (2011) ou encore Rubens (2013). En 2017, il a été le commissaire de l’exposition « Vermeer et les maîtres de la peinture de genre », organisée en partenariat avec la National Gallery of Ireland (Dublin) et la National Gallery of Art (Washington).